Les aléas de la classification des produits de santé

S’il est une question récurrente pour les entreprises produisant ou commercialisant des produits de santé, c’est bien celle de la qualification de leurs produits avant leur mise sur le marché au sein des Etats membres de l’Union européenne.

La Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) a eu l’occasion de se prononcer sur les divergences de qualification des produits de santé au sein des Etats membres de l’Union européenne dans un arrêt du 3 octobre 2013 (CJUE, 26 septembre 2013, affaire C-109/12, Laboratoires Lyocentre c/ Lääkealan turvallisuus- ja kehittämiskeskus).

Les Laboratoires Lyocentre souhaitaient mettre sur le marché finlandais, en tant que dispositif médical (DM), l’un de ses produits destiné à rétablir l’équilibre de la flore bactérienne.

Les autorités sanitaires finlandaises ont estimé que le produit concerné des Laboratoires Lyocentre relevait de la catégorie des médicaments du fait, notamment, de sa composition et de son mécanisme d’action. Egalement, s’inspirant de ce que d’autres autorités sanitaires nationales avaient déjà pu considérer, la Finlande arguait qu’un produit similaire était commercialisé comme médicament. Un dossier de demande d’autorisation de mise sur le marché devait donc être complété par les Laboratoires Lyocentre.

Suite aux divers recours des Laboratoires Lyocentre devant les instances administratives finlandaises, la Cour administrative suprême finlandaise a finalement interrogé la CJUE, par le biais d’une question préjudicielle.

Les trois questions posées à la juridiction européenne étaient les suivantes :
– une autorité nationale peut-elle considérer un produit en tant que médicament dans son pays alors qu’il a la qualité de DM marqué CE dans un autre Etat membre ?
– en cas de réponse positive à la première question, cette même autorité nationale peut-elle classer directement la préparation comme médicament ou doit-elle auparavant appliquer les procédures de sauvegarde ainsi que la procédure relative au marquage CE indûment apposé (telles que prévues par la Directive 93/42/CEE du 14 juin 1993 modifiée) ?
– enfin, des préparations ayant le même composant et les mêmes modes d’actions peuvent-elles être commercialisées sur le territoire d’un seul et même Etat membre en tant que médicament pour certaines et en tant que DM pour d’autres ?

A la première question, la CJUE répond par l’affirmative en estimant que « Le classement d’un produit, dans un État membre, en tant que dispositif médical muni d’un marquage CE (…) », conformément au droit européen, « (…) ne fait pas obstacle à ce que les autorités compétentes d’un autre État membre classent ce même produit, en raison de son action pharmacologique, immunologique ou métabolique, en tant que médicament (…) ».

La CJUE considère ainsi, qu’au cas par cas, les autorités nationales peuvent qualifier de médicament un produit considéré comme un DM dans un autre Etat membre en tenant compte « du mode d’action principal du produit » et « en raison de son action pharmacologique, immunologique ou métabolique », s’il est susceptible d’être « utilisé chez l’homme ou lui être administré en vue de restaurer, de corriger ou de modifier des fonctions physiologiques ».

Concernant la deuxième question, la CJUE juge que les autorités nationales doivent « (…) appliquer la procédure » relative au marquage CE indûment apposé « (…) et, s’il y a lieu, celle (…) » relative aux procédures de sauvegarde concernant les DM préalablement « (…) à l’application de la procédure de classement prévue par la directive » relative aux médicaments à usage humain.

Enfin, sur la dernière question qui lui est soumise, la CJUE rappelle qu’ « un produit qui, bien que n’étant pas identique à un autre produit classé en tant que médicament, possède cependant en commun un même composant et exerce le même mode d’action que celui-ci, ne saurait, en principe, être commercialisé en tant que dispositif médical ».

Cependant, la Cour européenne préconise aux juridictions nationales des Etats membres de procéder à un examen détailler du produit afin de déterminer si l’une de ses caractéristiques propres ne serait pas à même de le classer en tant que DM.

Se faisant, la CJUE consacre pleinement le pouvoir d’appréciation souverain des juridictions nationales dans la classification des produits de santé. Mais est-ce qu’une telle liberté demeurera lorsque les dispositifs médicaux seront régis par un règlement européen ? Probablement pas !

En tout cas, en attendant et à la lumière de ces développements, les entreprises produisant et commercialisant des produits de santé n’ont pas de quoi être particulièrement rassurées. Selon qu’il s’agisse d’un tribunal espagnol, allemand ou français, les produits seront tantôt considérés comme des médicaments, tantôt comme des DM, voire comme des biocides !

Avec une telle décision, l’objectif d’harmonisation et d’interprétation convergente des législations des Etats membres dans le domaine de la santé montre une nouvelle fois ses limites.

Sans compter que les juges nationaux devront composer avec la jurisprudence déjà fournie de la CJUE sur la qualification des produits de santé et notamment des médicaments et DM.

Et que dire également des éventuelles distorsions de concurrences entre les entreprises si deux produits similaires au sein d’un même Etat membre n’obtenaient pas la même qualification ! Comprenez-vous ?

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