Pourquoi la France échoue-t-elle à simplifier le cadre juridique de la recherche clinique ? 

Depuis des décennies, les appels à la simplification du cadre juridique applicable à la recherche clinique en France se succèdent. Le constat est récurrent : la législation nationale devient illisible, trop complexe, et paralyse les acteurs économiques et scientifiques. Le domaine de la recherche clinique illustre parfaitement ce phénomène. 

Alors même que l’Union européenne adopte des règlements directement applicables, la France persiste à vouloir les transposer, les compléter, voire les dénaturer, au mépris du principe de hiérarchie des normes et de la nécessaire clarté du droit.

 

 

1. Le règlement européen : un outil de simplification… ignoré en France 


Contrairement à une directive, qui doit être transposée, un règlement européen s’applique directement dans tous les États membres, avec une force obligatoire. Il vise justement à garantir l’harmonisation et à limiter les divergences nationales. 

Le Règlement (UE) 536/2014 sur les essais cliniques, ainsi que les règlements (UE) 2017/745 et 2017/746 relatifs aux dispositifs médicaux et aux dispositifs médicaux de diagnostic in vitro (DMDIV), en sont l’illustration. 

Dans la plupart des pays européens, ces textes ont permis de clarifier et rationaliser le cadre juridique applicable. En France, c’est l’inverse : on assiste à une prolifération de dispositions nationales redondantes, parfois contraires au droit européen.

 2. Une illustration d’article législatif inutile 


Prenons l’exemple suivant : 

Article L. 1125-5 du Code de la Santé Publique (CSP) 

« S’appliquent aux investigations cliniques prévues au paragraphe 1 de l’article 82 du règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 les dispositions des articles 72, 75, 76, 77, 80, 87, 88, 89 et 90 du règlement (UE) précité. » 

Une telle disposition est non seulement inutile, mais contraire à l’esprit même d’un règlement européen, déjà directement applicable. 

 3. La persistance des catégories RIPH : un anachronisme juridique 

 
Le droit français maintient également des catégories de recherches impliquant la personne humaine (RIPH) qui ne devraient plus exister pour les produits de santé relevant exclusivement du droit européen. 

Exemple marquant : les ajouts à l’article L. 1121-1 du CSP par l’ordonnance n°2022-1086 du 29 juillet 2022. Cet article introduit une typologie de RIPH portant sur des DMDIV pourtant déjà encadrées, de manière exhaustive, par le règlement (UE) 2017/746. 

Ce découpage artificiel crée un chevauchement normatif, source de confusion et de risques juridiques pour les promoteurs.

 4. Une inflation législative bien française

 
En 36 ans, la France est passée d’une seule à environ quatorze catégories de recherches, chacune générant son propre régime juridique. Le Code de la santé publique est devenu un outil d’empilement : obèse, inapplicable et illisible. 

Les causes sont multiples : 

  • une culture juridique attachée au contrôle législatif national, même devenu obsolète ; 
  • une logique administrative consistant à « compléter » systématiquement les règlements européens. 

Résultat : une instabilité normative chronique, que l’État tente maladroitement de combler à coups de FAQ interprétatives. 

 5. Le projet de loi de simplification : une occasion manquée 

 
Le projet de loi de « simplification » de la vie économique en cours de discussion en est la parfaite illustration. 

Si ce texte avait voulu simplifier, il aurait dû s’attacher à supprimer les dispositions illégales ou superflues…, elle en ajoute : 

    1. – Des recommandations de bonnes pratiques sont édictées par décision de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé. Ces recommandations sont conformes au règlement (UE) n° 536/2014 du Parlement européen et du Conseil du 16 avril 2014 relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain et abrogeant la directive 2001/20/CE, notamment aux principes et aux lignes directrices de l’article 47. »

 

Le Règlement relatif aux essais cliniques de médicaments considère que les seules bonnes pratiques cliniques acceptables ne sont pas celles élaborées par les autorités nationales, mais bien celles adoptées par l’ICH ! 

Nous pouvons également citer les futures nouvelles dispositions législatives toujours contenues dans le projet de loi de simplification de la vie économique, qui précisent qu’en matière de recherche clinique décentralisée, il convient de respecter la législation relative à la protection des données ! 

« b) Est ajoutée une phrase ainsi rédigée : « Lorsque des composantes du contrôle ou de l’assurance de qualité sont effectuées à distance, elles respectent le règlement (UE) n° 2016/679 du Parlement européen et du Conseil du 27 avril 2016 relatif à la protection des personnes physiques à l’égard du traitement des données à caractère personnel et à la libre circulation de ces données, et abrogeant la directive 95/46/CE (règlement général sur la protection des données) ainsi que la loi n° 78-17 du 6 janvier 1978 relative à  l’informatique, aux fichiers et aux libertés. » ; » 

Est-ce bien nécessaire d’apporter une telle précision dans la législation française ? N’est-ce pas une évidence pour tout promoteur de s’assurer du respect des règles relatives à la protection des données lors de la conduite d’un essai clinique, comme le prévoit le d) du 1. de l’article 28 du règlement (UE) 536/2014 ou bien encore le h) du 4. de l’article 62, s’agissant des investigations cliniques ? 

La solution : respecter enfin le droit européen 


Tant que la France n’aura pas compris qu’il n’est ni utile ni souhaitable de transposer ou de compléter à outrance les règlements européens directement applicables, la simplification restera un vœu pieux. 

Il est temps de mettre un terme à cette surproduction normative. Comme l’écrivait Montesquieu : 

« Les lois inutiles affaiblissent les lois nécessaires. » 

Une véritable simplification du cadre juridique de la recherche clinique en France exige avant tout de reconnaître la primauté du droit européen.

Thomas ROCHE, avocat associé

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