Combien d’emplois la loi Jardé va-t-elle détruire en France ?

Depuis l’entrée en vigueur de la Loi Jardé en novembre 2016, la question n’est plus de savoir si des emplois du secteur de la recherche clinique vont être détruits en France, mais combien.

Nous pouvons également nous interroger sur l’incidence de cette législation désastreuse en termes de santé publique même si cette conséquence est plus difficilement quantifiable puisqu’il convient d’apprécier le préjudice résultant d’une perte de chance.

En effet, il ne faut pas sous-estimer les conséquences des législations et réglementations inutiles. La loi Jardé en est la parfaite illustration. Elle affaiblit un secteur d’activité d’ores et déjà touché par la désaffection d’un nombre important d’investigateurs du fait de la mise en place brutale du contrat unique et contribue ainsi à accentuer la baisse du nombre d’essais cliniques menés en France.

Or, l’équation est simple : la diminution d’essais cliniques augmente la perte de chance pour des patients d’y participer et d’avoir un accès précoce à des solutions thérapeutiques innovantes.

Afin d’apprécier les conséquences de la loi Jardé sur le secteur de la recherche clinique français, et par voie de conséquence en matière de santé publique, nous distinguerons les dispositions qui conduisent à la diminution du nombre d’essais cliniques (ou recherches interventionnelles) de celles qui impactent inutilement les études non interventionnelles. 

Pourquoi le nombre d’essais cliniques va-t-il diminuer en France ?

Raison n°1 : L’instabilité

Tout opérateur économique aspire à une stabilité juridique. Qu’il s’agisse de règles en matière fiscale, en matière sociale, et plus généralement toute réglementation ayant des incidences sur son activité, leurs incessantes modifications déstabilisent fortement les organisations concernées et pèsent lourdement sur leurs performances.

En d’autres termes, pendant que des promoteurs et des investigateurs d’autres pays européens mènent des investigations cliniques, les promoteurs et investigateurs français essaient désespérément d’appréhender les nouvelles règles et de les mettre en œuvre.

En effet, il est totalement incompréhensible qu’une nouvelle législation, qui modifie en profondeur des concepts existants depuis près de 30 ans et notamment les définitions des catégories de recherches cliniques, entre en application à moins de vingt-quatre mois de l’entrée en vigueur d’une nouvelle réglementation encadrant les essais cliniques de médicaments et à moins de 36 mois de celle encadrant les investigations cliniques portant sur les dispositifs médicaux et les dispositifs médicaux de diagnostic in vitro.

Ainsi, face à l’inconstance législative et réglementaire française, nous pouvons imaginer que de nombreux promoteurs d’essais multicentriques européens éviteront, pendant les mois à venir, d’ouvrir des centres en France.

Raison n° 2 : L’incompatibilité des règles françaises avec la réglementation européenne

Outre l’instabilité, un autre facteur pourrait conduire les promoteurs à éviter la France : l’absence de conformité de la réglementation française avec la réglementation européenne.

La France, par l’intermédiaire du décret n° 2016–1537 du 16 novembre 2016 relatif aux recherches impliquant la personne humaine, a jugé bon de modifier, notamment, les règles en matière de vigilance applicable aux recherches interventionnelles et donc aux essais cliniques de médicaments.

Les conséquences pratiques d’une telle subtilité française, qui a pour effet de désharmoniser les règles encadrant les essais cliniques, sont simples : tout promoteur souhaitant réaliser tout ou partie d’un essai clinique en France doit adapter spécifiquement ses procédures relatives à la vigilance pour satisfaire aux exigences françaises.

Ainsi, le nouvel article R. 1123–46 du code de la santé publique (CSP), a été complété par la définition d’un nouveau terme à savoir, le « fait nouveau ».

Cette notion de « fait nouveau » qui implique le respect d’obligations d’informations spécifiques tant pour le promoteur que pour l’investigateur ne ressort d’aucune législation européenne. Qu’il s’agisse de la directive 2001/20/CE ou du Règlement (UE) n° 536/2014, aucun de ces textes ne prévoit un régime juridique particulier pour de tels faits.

De même, Ces législations européennes n’exigent pas que tout évènement ou effet indésirable grave, survenant dans le cadre d’une recherche portant sur des personnes qui ne présentent aucune affection, soit déclaré sans délai à l’autorité compétente (Art. R. 1123-54 du CSP).

L’obligation de déclaration ne concerne que les suspicions d’effets indésirables graves inattendus (EIGI ou SUSAR) dans des délais fixes ne pouvant dépasser 7 jours ou 15 jours selon le niveau de gravité des conséquences de l’EIGI.

Dans ce contexte, la France ne saurait modifier ces délais.

Or, le décret n°2016-1537 est venu supprimer le délai maximum de 7 jours exigeant des promoteurs qu’ils déclarent sans délai, à compter du moment où ils en ont connaissance, les EIGI ayant entraîné la mort ou mis la vie en danger (Art. R. 1123-54 du CSP).

La suppression du délai maximal offert par l’article 17 de la Directive 2001/20/CE et surtout l’article 42 du Règlement (UE) n°536/2014 mais également la création de nouvelles obligations déclaratives à la charge du promoteur entrainent l’illégalité de ces nouvelles mesures réglementaires.

Cependant, avant que ces dernières soient éventuellement attaquées et jugées non conformes au droit européen, nombre de promoteurs auront décidé, par souci de sécurité juridique, de ne plus mener d’essais cliniques de médicaments en France et prendront leurs habitudes dans des pays au cadre juridique plus stable.

Pourquoi le nombre d’études non interventionnelles va-t-il diminuer en France ?

Raison n°1 : Un régime juridique dépourvu de toute logique et d’utilité

Avant toute chose, il convient de rappeler que la justification de la loi Jardé repose sur la volonté de quelques chercheurs souhaitant obliger les Comité de Protection des Personnes (CPP) à rendre des avis éthiques sur des projets d’études non interventionnelles, afin de leur faciliter la publication de leurs résultats dans des revues scientifiques et ainsi d’améliorer l’indicateur MERRI relatif aux publications scientifiques.

En conséquence, et dans le but de satisfaire certains intérêts particuliers, contribuant à l’accroissement de la dépense publique, il a été décidé de modifier, l’ensemble de l’équilibre juridique sur lequel reposait la recherche clinique française, au détriment, donc, de l’intérêt général.

La création d’un socle commun de règles applicables aux recherches impliquant la personne humaine, comprenant les études non interventionnelles, est purement artificielle, incohérente et sans légitimité.

La règle juridique, pour trouver application, nécessite du sens, une logique. A défaut, elle perd toute efficacité et donc utilité .

Dans ce contexte, comment peut-on justifier que des études non interventionnelles, ne portant donc pas sur des personnes mais sur des données à caractère personnel, puissent être examinées par des Comité de Protection des Personnes ?

Quelle est la légitimité pour de tels Comités d’examiner des traitements de données à caractère personnel ?

Plus grave encore, en engorgeant ces Comités avec des études non interventionnelles (dont le nombre n’a jamais été estimé !), pour lesquelles ils ne disposent d’aucune légitimité, ne risque-t-on pas de diminuer la protection des personnes qui participent à des recherches interventionnelles et qui nécessitent toute l’attention de ces CPP ?

En justifiant la création de ce régime juridique par l’existence d’un vide juridique, niant les dispositions applicables aux traitements de données à caractère personnel, les instigateurs de cette loi ont créé des règles inutiles.

Nous pouvons d’ailleurs noter que le Règlement (UE) n°536/2014 ne juge pas utile d’encadrer les études non interventionnelles portant sur des médicaments. Et pour cause, le législateur européen estime suffisantes les règles édictées par la Directive 95/46/CE et remplacées récemment par le Règlement (UE) n°2016/679 (Règlement Général sur la protection des données (RGPD), qui assurent la protection des personnes physiques à l’égard des traitements de données mis en œuvre dans le cadre d’étude non interventionnelle.

Ce constat nous amène à nous interroger sur la conformité de ce nouveau régime juridique inutile encadrant les études non interventionnelles au Règlement (UE) n°536/2014 mais également vis-à-vis de la Directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur.

Raison n°2 : Des contraintes administratives nouvelles injustifiées et non conformes au droit européen 

Depuis de nombreuses années, un certain nombre d’opérateurs économiques réalisent ou confient la réalisation d’études non interventionnelles sans qu’il soit exigé que ces études soient soumises à un quelconque contrôle administratif préalable.

Certaines de ces études non interventionnelles n’impliquent pas la collecte et l’analyse de données de santé (cosmétique, agroalimentaire, hors produits de santé, etc.) et donc ne nécessitaient pas une autorisation préalable par la CNIL.

En outre, ces contrôles administratifs a priori, qui pouvaient être justifiés lorsque des données sensibles étaient traitées dans le cadre d’études non interventionnelles, sont voués à disparaître avec l’entrée en vigueur prochaine du RGPD reposant sur le principe d’accountability et la réalisation d’études d’impact systématiques pour ce type de traitement. Cette philosophie est d’ores et déjà opérationnelle en France depuis la publication des nouvelles méthodologies de référence. C’est le sens de l’histoire !

Dans ce contexte, la France peut-elle conditionner la réalisation d’études non interventionnelles à l’obtention d’un avis administratif (Art. L. 1123-1 du CSP) préalable et obligatoire ? La conduite d’une étude non interventionnelle sans l’avis favorable d’un CPP est passible d’une peine d’emprisonnement pouvant aller jusqu’à 1 an et d’une amende de 15 000 € (Art. L. 1126-5 du CSP).

Les instigateurs de la loi Jardé semblent ignorer que les activités de recherche ou d’études non interventionnelles sont des prestations de services. Il s’agit de prestations scientifiques nécessitant d’être clairement distinguées des soins de santé exclus de la Directive 2006/123/CE.

Ces prestations scientifiques entrent pleinement dans le champ d’application de cette Directive relative aux services dans le marché intérieur et les Etats membres, dont la France, ne peuvent ignorer le principe de libre prestation de service attachée à la réalisation des études non interventionnelles.

Comme le souligne le considérant 54 de ladite Directive, « cela signifie, en particulier, qu’un régime d’autorisation n’est admissible que lorsqu’un contrôle a posteriori ne serait pas efficace compte tenu de l’impossibilité de constater a posteriori les défauts des services concernés et compte tenu des risques et dangers qui résulteraient de l’absence de contrôle a priori ».

La liberté de service est donc le principe et l’autorisation préalable l’exception devant être clairement justifiée et motivée.

Or, quels éléments justifient un contrôle a priori par un CPP ?

Existe-t-il un risque ou un danger particulier nécessitant de contrôler une étude non interventionnelle qui par définition n’implique aucune intervention sur la personne mais uniquement une observation sans aucun risque ni contrainte ?

Si cette nécessité de contrôle a priori existait préalablement pourquoi n’a-t-elle pas encore été mise en œuvre ?

Pour mémoire, la justification avancée par M. Jardé dans son rapport enregistré le 13 janvier 2009 par la Présidence de l’Assemblée nationale se limitait à la vérification d’un intérêt scientifique pour faciliter la publication des résultats dans des revues scientifiques.

« L’absence d’autorisation préalable par un comité de protection des personnes ne permet pas de vérifier l’intérêt scientifique de ces recherches et pénalise les chercheurs français qui veulent publier dans des revues scientifiques internationales car celles-ci exigent l’avis d’un comité d’éthique. »

Dans les faits, une telle mesure conduit à créer une situation discriminante au détriment des sociétés de recherche françaises vis-à-vis de leurs concurrents européens.

Les conséquences pour les opérateurs français réalisant des études non interventionnelles sont simples : ils ne peuvent mettre en œuvre une telle étude qu’après avoir obtenu l’avis favorable d’un CPP (environ 45 jours) alors que leurs homologues européens peuvent mettre en œuvre une étude identique sans attendre un tel délai et surtout sans avoir eu à préparer un dossier de demande d’avis favorable assimilable à une autorisation préalable.

Pour les entreprises françaises qui mènent des études non interventionnelles, les délais et les coûts sont nettement différenciants et créent incontestablement une distorsion de concurrence injustifiée.

Par voie de conséquence, nous pouvons considérer que les dispositions de la loi Jardé, créant un régime d’avis favorable préalable à la conduite des études non interventionnelles, constituent des restrictions injustifiées et donc contraires au droit européen.

En attendant, un nombre important d’études non interventionnelles vont être délocalisées, les entreprises françaises réalisant de telles études vont perdre des parts de marché et les emplois correspondants vont disparaître.

Cette fin d’année 2016 vient confirmer une tendance qui tend à s’accélérer depuis juin 2014 et la mise en place chaotique du contrat unique: le déclin de la recherche clinique française.

Nous sommes bien loin des déclarations d’intention du Conseil stratégique des industries de santé (CSIS) du 5 juillet 2013 visant à renforcer l’attractivité des essais cliniques en France.

Notre exécutif semble avoir seulement oublié quelques règles de bon sens à commencer par une nécessaire stabilité réglementaire et la prise en compte des réglementations européennes.

Afin de limiter les conséquences désastreuses de cette nouvelle législation et réglementation, tant sur l’emploi qu’en termes de santé publique, il est urgent d’agir afin de revenir à la situation juridique antérieure, exigeant l’annulation tant de l’ordonnance n° 2016-800 du 16 juin 2016 que du décret n° 2016–1537 du 16 novembre 2016 relatif aux recherches impliquant la personne humaine.

Quoiqu’il en soit, les modifications apportées par l’ordonnance n°2016-1537 ne sont pas suffisantes pour rendre effective la mise en œuvre du Règlement n° 536/2014 relatif aux essais cliniques de médicaments et nécessitera une nouvelle modification législative avant l’entrée en vigueur dudit Règlement d’ici moins de 24 mois.

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