Les orthèses en série peuvent être remboursées, quel que soit le professionnel qui les délivre !

Selon le Conseil d’Etat, la LPP subordonne le remboursement d’orthèses en série à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités, sous entendant par sa décision que ces professionnels habilités sont seulement les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes, mais est-ce bien le cas ?

Dans sa décision du 14 mars 2022 (Conseil d’État, 1ère – 4ème chambres réunies, n° 446506), le Conseil d’Etat adopte une position pour le moins surprenante s’agissant de l’articulation entre le principe de délivrance des orthèses en série (listées à l’article 4 de l’arrêté du 3 décembre 2015) et de leur remboursement.

Selon le Conseil d’Etat, la LPP subordonne le remboursement de ces orthèses en série à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités, sous entendant que ces professionnels habilités sont seulement les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes.

 

La création d’une inégalité d’accès au soin

Le Conseil d’Etat considère ainsi que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes ne disposent pas d’un monopole pour la délivrance d’orthèse de série mais, malgré tout, seuls ces professionnels peuvent, lorsqu’ils délivrent ces orthèses, faire bénéficier leurs patients du remboursement de ces orthèses en série.

En d’autres termes, certains patients verraient leurs produits remboursés car délivrés par certains professionnels identifiés au niveau de la LPP, alors que d’autres patients, placés dans une même situation, ne bénéficieraient pas de ce remboursement au motif qu’ils se sont vu délivrer leur produit par d’autres professionnels habilités mais non identifié au niveau de la LPP.

Concrètement cela conduit à obtenir le remboursement d’une orthèse en série vendue par un orthopédiste-orthésiste alors que l’achat d’une même orthèse en série auprès d’un pharmacien ne sera pas pris en charge par les caisses d’assurance maladie, alors même que les pharmaciens sont habilités à délivrer ces orthèses.

Une telle solution, qui conduit à créer des différenciations de traitement entre patients du seul fait de l’identité de la personne qui va lui délivrer son orthèse de série, est totalement contraire au principe d’égalité dans l’accès au soin.

En outre, elle aboutit à la création d’une situation de concurrence déloyale entre les professionnels habilités à délivrer des produits identiques puisque seuls certains pourraient faire bénéficier à leurs patients d’une prise en charge par l’assurance maladie. Bien évidemment les patients vont se diriger vers ces professionnels !

Dans ce contexte, il convient d’essayer de comprendre les raisons qui ont pu conduire le Conseil d’Etat à valider une telle solution en analysant plus spécifique le 7ème considérant de l’arrêt du 14 mars 2022.

 

Le remboursement est réservé aux produits délivrés par des professionnels ne bénéficiant d’aucune exclusivité de délivrance

« 7. Si, comme il a été dit au point 4, il ne résulte d’aucun texte ni d’aucun principe que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes disposeraient d’une compétence exclusive pour la délivrance des orthèses de série, celles-ci doivent néanmoins, pour être prises en charge par l’assurance maladie, être délivrées dans le respect des dispositions de la liste des produits et prestations mentionnée à l’article R. 165-1 du code de la sécurité sociale, qui subordonnent leur remboursement à leur délivrance par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités. »

Il est intéressant tout d’abord de noter que le Conseil d’Etat rappelle que les habilitations permettant de délivrer certains produits sont fixées par la loi : « par les seuls professionnels qui y sont légalement habilités », et qu’il n’incombe donc pas à la LPP de déterminer les règles de délivrance de certains produits.

En effet, il est important de disposer d’une cohérence entre les principes législatifs venant définir les habilitations pour délivrer certains produits et les règles en matière de remboursement.

Il serait tout à fait incongru que des dispositions légales et leur mesure d’applications viennent préciser les catégories de professionnels qui peuvent délivrer des produits et que l’arrêté qui fixe la liste des produits et prestations remboursés, vienne modifier ces conditions de délivrance pour limiter le remboursement à certains produits en fonction de la nature du professionnel qui le délivre au patient.

C’est pourtant ce que semble affirmer les juges du Conseil d’Etat, qui considèrent que la LPP précise les modalités de délivrance des orthèses en série et que le respect des conditions de délivrance fixées par la LPP conditionne leur remboursement.

Il convient alors de consulter les modalités de délivrance fixées par la LPP concernant les orthèses en série et plus particulièrement la partie du chapitre 1er de son titre II, consacré aux « orthèses (ex-petit appareillage) », intitulée « généralités » citée dans la décision n° 446506 au considérant 6.

« Chapitre 1 : Orthèses (ex-petit appareillage)

Généralités

Le prix de vente au public doit être conforme à la réglementation en vigueur.

La prise en charge des produits inscrits aux paragraphes A, D et E du présent chapitre est subordonnée à l’apposition sur leur conditionnement d’une étiquette détachable autocollante à appliquer sur le volet de facturation ou, à défaut, pour les produits sur mesure, à la délivrance d’une facture, adressées aux organismes de prise en charge et comportant les mentions suivantes :

  • le nom du produit ;
  • le nom du fabricant ;
  • le nom du distributeur ;
  • la désignation générique du produit ;
  • le numéro de code complet (chiffres et lettres) de la nomenclature ;
  • le tarif de responsabilité ;
  • s’il y a lieu, le prix de vente maximal public conseillé. Le distributeur final mentionne le prix de vente public (TTC).


Les conditions de prescription des produits inscrits au présent chapitre doivent être conformes à la réglementation en vigueur.

Les conditions d’exercice des professionnels doivent être conformes à la réglementation en vigueur. »

Force est de constater que la LPP, au niveau des généralités relatives aux orthèses, n’apporte aucune précision sur les modalités de délivrance de ces orthèses !

Tout au plus, comme le souligne le considérant 6, la LPP indique que « les conditions d’exercice des professionnels doivent être conformes à la réglementation en vigueur ».

Cela signifie seulement que les personnes délivrant des orthèses doivent respecter leurs règles d’exercice professionnelles, s’agissant notamment des professions réglementées, et, le cas échéant lorsqu’elles existent, les règles de délivrance fixées par la réglementation en vigueur qui leur seraient applicables.

 

Le remboursement de ces orthèses en série doit être maintenu

Or ces règles de délivrance existent et ont été rappelés par le Conseil d’Etat qui conclue en l’absence d’exclusivité de la délivrance d’orthèses de série par les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes.

Du fait de cette absence d’exclusivité, cela induit que d’autres professionnels sont légalement habilités à délivrer ces produits. Par voie de conséquences tous les produits délivrés par ces autres professionnels, légalement habilités (car autorisés du fait de l’absence de règles interdisant ou restreignant une telle délivrance), ouvrent droit à remboursement.

Le directeur général de la Caisse nationale de l’assurance maladie était donc tout à fait légitime à rembourser des orthèses de série délivrées par les professionnels autres que les orthoprothésistes, podo-orthésistes et orthopédistes-orthésistes.

Dorénavant, un refus de sa part, quand bien celui-ci serait fondé sur la décision du Conseil d’Etat du 14 mars 2022, constituerait un acte susceptible de faire l’objet d’un recours judiciaire du fait de la méconnaissance des règles relatives à la délivrance de ces produits.

Thomas ROCHE, Avocat associé

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