Les victimes de dispositifs médicaux peuvent-elles engager la responsabilité des organismes notifiés ? (Episode 1)

Ce jeudi 15 septembre 2016, l’avocat général Eleanor Sharpston a présenté devant la Cour de Justice de l’Union Européenne (« CJUE ») ses conclusions dans le cadre d’une question préjudicielle posée par le Bundesgerichtshof ((Cour fédérale allemande, juridiction au sommet de l’ordre judiciaire en matière civile.)). Celle-ci a demandé à la Cour de Luxembourg (i) dans quelle mesure un Organisme Notifié ((Organisme notifié (« ON ») : un organisme d’évaluation de la conformité au système complet d’assurance de qualité d’un dispositif médical. Les ON font l’objet d’une notification de la part d’un Etat  membre de l’Union Européenne à la Commission Européenne et aux autres Etats membres.)) (« ON ») au sens de la directive 93/42/CEE relative aux dispositifs médicaux est susceptible d’être responsable à l’égard de tiers qui ont subi un préjudice en raison d’un manquement fautif dudit organisme aux obligations imposées par cette directive, et dans l’affirmative (ii) la nature de leurs obligations.

Cette question préjudicielle est posée dans le cadre d’un litige opposant Mme Schmitt à TÜV Rheinland LGA Products GmbH (« TÜV »), société qui fut l’ON choisi par Poly Implants Prothèses (« PIP ») dont les implants mammaires avaient été posés à Mme Schmitt, puis retirés.

La question préjudicielle permet au juge national, faisant face à un problème d’interprétation du droit de l’Union dans un litige qui lui est soumis, de surseoir à statuer et de demander au juge de l’Union l’interprétation qu’il fait des dispositions européennes. Cette interprétation, qui sera donnée par la Cour prochainement, aura une influence sur l’issue du litige qui dépend, in fine, du juge national. Aujourd’hui, ce sont les conclusions de l’avocat général qui sont rendues : il s’agit d’un « projet de décision » que Mme Sharpston propose aux juges de Luxembourg. Ceux-ci se borneront à interpréter la directive 93/42/CEE et ne se prononceront pas sur l’existence ou non d’une responsabilité de l’ON. S’agissant d’un arrêt préjudiciel en interprétation, le juge de renvoi aura l’obligation d’appliquer l’acte communautaire tel qu’il aura été interprété par la CJUE.

Selon Mme Sharpston, le droit national devrait prévoir des dispositions permettant d’engager la responsabilité des ON en cas de manquement fautif à leurs obligations selon la directive qui a pour objectif de « protéger les patients potentiels ». L’avocat général n’oublie pas que le fabricant est prioritairement responsable, mais elle justifie sa solution par une brève mention du « rôle crucial » que jouent les ON dans la procédure de mise sur le marché des dispositifs médicaux, du niveau élevé de protection des patients visé par la directive et du fait que celle-ci ne porte « aucune mention relative à l’engagement de la responsabilité des [ON] bien que l’obligation (…) de souscrire une assurance de responsabilité civile fait clairement apparaître qu’une responsabilité d’une forme ou d’une autre est envisagée ».

Concernant l’étendue des obligations pesant sur les ON, l’avocat général estime à titre liminaire que si les ON doivent faire preuve de compétence, ils ne sont pas des organismes chargés de faire respecter le droit, et doivent se limiter à leur rôle scientifique. Mme Sharpston estime d’ailleurs que la directive 93/42/CEE ne vise pas un « niveau absolu » de protection des patients, mais un « niveau élevé » en ce que l’obtention d’un marquage CE n’est pas synonyme d’infaillibilité.

L’avocat général conclut que ces organismes ont une « obligation de prendre toutes les mesures nécessaires dans [le contexte de tromperie ou fraude de la part du fabricant] ». De plus, pèse sur eux une « obligation générale de diligence » les rendant alertes face à l’éventualité d’une erreur légitime du fabricant. Cependant, l’avocat général estime qu’il appartient à la juridiction nationale de se prononcer sur l’étendue des mesures qu’aurait dû adopter l’ON.

Ces conclusions sont les bienvenues notamment car les situations mettant en cause la responsabilité d’organismes notifiés sont rares. Elles le sont d’autant plus que récemment, de nombreux ON ont été « désavoués » par leurs autorités nationales respectives : un arrêt de la CJUE serait une base argumentative très appréciée puisqu’aucun règlement européen ou directive européenne ne prévoit clairement de dispositions portant sur la nature et le champ de la responsabilité des ON.

Toutefois, ces conclusions n’abordent pas la question d’un éventuel partage des responsabilités entre le fabricant et l’ON. Enfin, il faut garder à l’esprit que ces préconisations sont influencées par la potentielle dangerosité des dispositifs concernés (classe III).

Enfin, les conclusions d’avocats généraux ne lient pas les juges, mais sont généralement suivies par ces derniers. Si la Cour fait écho à ces conclusions, il est probable que le Bundesgerichtshof déclare TÜV responsable non pas sur le fondement de la directive mais par lecture conjointe de celle-ci avec l’article 823 §2 du code civil allemand. La portée de la décision de la Cour de Luxembourg serait alors à relativiser : la directive n’a pas d’effet direct dans le litige opposant Mme Schmitt (personne physique justiciable) et TÜV (personne morale de droit privé). Si les directives sont sous certaines conditions directement invocables par les justiciables dans leurs rapports « verticaux » avec l’Etat, la CJUE a maintenu son refus de faire produire un effet « horizontal » (entre particuliers) à une directive ((CJUE, 19 janvier 2010, aff. C-555/07, Kücükdeveci)). Néanmoins, l’interprétation que fera bientôt la Cour sera en tout état de cause un élément clé pour de futures argumentations sur l’engagement de la responsabilité des organismes notifiés.

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