Ordonnance n°2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine : à n’y plus rien comprendre !

Même le site Legifrance.gouv.fr en a perdu son latin. Allez consulter la version en vigueur du code de la santé publique sur le site legifrance.gouv.fr et vous pourrez constater les conséquences pratiques, mais juridiquement fausses, de l’adoption de l’ordonnance n°2016-800 : la loi Jardé est entrée en vigueur depuis le 17 juin 2016, date de publication au JORF de l’Ordonnance !

Terminé les recherches biomédicales et place aux recherches impliquant la personne humaine !

Mais était-ce bien l’objectif de l’habilitation confiée par le Parlement par l’intermédiaire de la loi de modernisation de notre système de santé ?

Revenons sur l’origine de cette ordonnance, son contenu et ses conséquences. 

1. L’ordonnance ne respecte pas l’habilitation

En application de l’article 38 de la Constitution, le Gouvernement a été autorisé par l’intermédiaire du II de l’article 216 de la loi n°2016-41 du 26 janvier 2016 de modernisation de notre système de santé à légiférer par ordonnance afin « d’adapter la législation relative aux recherches biomédicales, définies au titre II du livre Ier de la première partie du code de la santé publique, au règlement (UE) n°536/2014 (…) relatif aux essais cliniques de médicaments à usage humain ». 

Force est de constater que le Rapport au Président de la République relatif à l’ordonnance n°2016-800 du 16 juin 2016 relative aux recherches impliquant la personne humaine ((JORF du 17 juin 2016)) indique que « la présente ordonnance modifie le code de la santé publique dans sa rédaction issue de la loi n°2012-300 du 5 mars 2012 relative aux recherches impliquant la personne humaine, dite « loi Jardé ». 

L’ordonnance ne respecte donc pas les termes de l’article 216 de la loi n° 2016-41 qui visait expressément la législation relative « aux recherches biomédicales » et non pas celle relative « aux recherches impliquant la personne humaine ». Nous pouvons donc estimer que l’ordonnance ne respecte pas le cadre de l’habilitation consentie. 

Dans ces conditions, nous pouvons également nous interroger sur la légalité d’une telle ordonnance et la capacité du Parlement à la ratifier conformément à l’article 38 de la Constitution. Mais gageons, si ce n’est déjà fait, que le Parlement habilitera ce texte les yeux fermés !

2. L’ordonnance ne corrige pas les non-sens juridiques contenus dans la loi Jardé 

L’ordonnance modifie ainsi des dispositions législatives imparfaites car non encore entrées en vigueur (faute de décret d’application) créant ainsi une grande confusion dans l’identification de la règle de droit applicable tout en introduisant des incohérences juridiques rendant impossible toute mise en œuvre. 

L’ordonnance n’a pas corrigé, et au contraire a peut être accentué, des erreurs grossières contenues dans la loi Jardé. 

A titre d’illustration nous pouvons citer l’alinéa 1 de l’article L. 1121-1 du CSP qui reprend les termes de la définition des « recherches biomédicales » pour définir les «recherches impliquant les personnes humaines ». 

Cette définition est la suivante : « Les recherches organisées et pratiquées sur l’être humain en vue du développement des connaissances biologiques ou médicales ». 

L’usage du terme « pratiquée sur l’être humain » implique une contrainte et donc une intervention physique ou toute autre intervention impliquant un risque pour la santé psychique de la personne concernée (Article 2, 3) du protocole additionnel à la Convention sur les Droits de l’Homme et la biomédecine, relatif à la recherche biomédicale). 

Ainsi les recherches non interventionnelles ne peuvent être considérées comme l’une des catégories de « recherche impliquant la personne humaine » puisque, par définition, de telles études excluent toutes formes d’interventions et donc de contraintes. 

Une telle confusion au niveau des définitions des différentes catégories de recherches, visant à déterminer le régime juridique applicable à chacune de ces catégories, ne permet pas de disposer d’une règle de droit cohérente et accentue la complexité juridique des règles encadrant la recherche clinique. 

3. L’ordonnance n’inscrit pas la législation française dans un contexte européen

Contrairement à ce qui était attendu du Gouvernement, l’ordonnance n’adapte que partiellement la loi française au règlement (UE) n°536/2014 et n’offre aucune garantie ni solution concrète permettant d’assurer la capacité des autorités françaises et notamment les CPP à respecter les délais imposés par le règlement. 

Comment seront notamment organisés les échanges d’informations entre l’ANSM et les CPP ? Est-ce que la Commission nationale des recherches impliquant la personne humaine désignera le CPP en charge de l’examen du dossier de demande d’autorisation d’un essai clinique de médicament à usage humain ? La multiplication des intermédiaires permettra-t-elle de respecter les délais fixés par le règlement ? 

A noter également que l’ordonnance ignore les futurs règlements relatifs aux dispositifs médicaux et aux dispositifs médicaux de diagnostics in vitro dont les versions définitives ont été diffusées mi-juin et qui devraient être adoptés définitivement avant la fin 2016. Ceci impliquera une nouvelle modification de la législation française afin de l’adapter à ces nouveaux règlements et ce, avant même l’entrée en vigueur du règlement (UE) n°536/2014 prévue pour fin 2018. 

La modification de la législation française par cette ordonnance avant l’entrée en vigueur du règlement relatif aux essais cliniques de médicament n’était pas donc nécessaire et conduit à un accroissement inutile de la complexité de l’environnement législatif de la recherche clinique. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance de l’article 8 de l’ordonnance qui fixe les conditions d’entrée en vigueur de ce « Gloubi-Boulga » législatif.

4. L’ordonnance, ni la Loi Jardé, ne sont encore entrées en vigueur … quoiqu’en pense legifrance.gouv.fr 

La complexité est accentuée par l’article 8 de l’ordonnance du 16 juin 2016 qui tente de préciser les conditions d’entrée en vigueur de ces nouvelles règles législatives, véritable « usine à gaz » bien loin des aspirations de simplification exprimées par les acteurs français de la recherche clinique. 

« Article 8

I. — A l’exception des dispositions du a et c du 2° et du 6° de son article 1er et de son article 4, les dispositions de la présente ordonnance entrent en vigueur à compter de la publication des décrets prévus par le code de la santé publique pour son application et au plus tard le 31 décembre 2016.
Les dispositions de l’article 11 de la loi du 5 mars 2012 susvisée sont abrogées.
II. — Les dispositions des a et c du 2° et du 6° de l’article 1er et de l’article 4 de la présente ordonnance entrent en vigueur à la date d’entrée en vigueur des dispositions du règlement européen (UE) n° 536/2014 susvisé.
III. — Les essais cliniques de médicaments réalisés entre la date d’entrée en vigueur mentionnée au I et la date d’entrée mentionnée au II sont régis par les dispositions du titre Ier du code de la santé publique relatif aux recherches impliquant la personne humaine dans sa rédaction résultant de la loi du 5 mars 2012 susvisée.
IV. — Les recherches régulièrement autorisées ou déclarées à la date d’entrée en vigueur mentionnée au I se poursuivent pendant cinq ans conformément à la législation qui leur était initialement applicable. A l’issue de ce délai, elles sont soumises à un nouvel examen par le comité de protection des personnes et, le cas échéant, par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dans les conditions prévues par le code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la présente ordonnance.
V. — Les recherches dont la demande est en cours d’instruction auprès du comité de protection des personnes ou, le cas échéant, de l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé à la date d’entrée en vigueur mentionnée au I font l’objet d’un nouvel examen par le comité de protection des personnes et, le cas échéant, par l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé dans les conditions prévues par le code de la santé publique dans sa rédaction résultant de la présente ordonnance. » 

Une fois encore, l’ordonnance semble outrepasser l’habilitation donnée par le Parlement puisqu’elle modifie les conditions d’entrée en vigueur de la « loi Jardé » en abrogeant l’article 11 de ladite loi et en prévoyant une entrée en vigueur de ces nouveaux textes au plus tard le 31 décembre 2016, même si les décrets d’application n’étaient pas publiés à cette date. 

Même le site Legifrance.gouv.fr en perd son latin en considérant que l’ordonnance est déjà entrée en vigueur et en modifiant le code de la santé publique. 

Au final, cette ordonnance n’a d’autre objectif que d’imposer un passage en force de la Loi Jardé, objet de nombreuses critiques car n’apportant pas une réponse satisfaisante aux problèmes rencontrés par la recherche clinique française. 

La modification de la législation française par cette ordonnance avant l’entrée en vigueur du règlement relatif aux essais cliniques de médicament n’était pas nécessaire et conduit à un accroissement inutile de la complexité de l’environnement législatif de la recherche clinique. 

Elle ne tient pas compte des évolutions à venir concernant les investigations cliniques portant sur des dispositifs médicaux et des dispositifs médicaux de diagnostics in vitro ce qui impliquera une prochaine nouvelle modification législative. 

Ces évolutions rapides, sans concertation préalable, incohérentes, « court-termistes », excédant, semble-t-il, le champ de l’habilitation donné par le Parlement sont une source de forte inquiétude sur la lisibilité des règles juridiques encadrant la recherche clinique française et donc sur son avenir. 

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