Transparence des liens et décision du Conseil d’Etat : il paraît urgent de ne rien faire…

La décision du Conseil d’Etat du 24 février 2015 (CE, 1ère / 6ème SSR, 24 fév. 2015, 369074) a réintégré dans le champ de la publication au titre des avantages toutes les rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du Code de la santé publique par une entreprise débitrice de l’obligation de publication sur le fondement du même article.

Pour mémoire, le recours contre le Décret n° 2013-414 du 21 mai 2013 relatif à la transparence des avantages accordés par les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme et la Circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé avait été intenté par le Conseil National de l’Ordre des Médecins (CNOM) et l’Association pour une formation et une information médicales indépendantes de tout autre intérêt que celui de la santé des personnes (FORMINDEP).

Forte de la décision du 24 février 2015, FORMINDEP s’est crue fondée à adresser à certaines entreprises débitrices de l’obligation de publication un courrier constatant qu’elles n’avaient pas procédé à la publication des rémunérations, salaires et honoraires versés depuis le 1er janvier 2012.

Egalement, les entreprises récipiendaires dudit courrier se sont vues sommer de faire parvenir à FORMINDEP les « données publiques exigées par la loi ». Rappelant que la non-publication desdites informations était passible des sanctions pénales prévues par la loi (art. L. 1453-3 du Code de la santé publique), FORMINDEP sous-entendait également que les « autorités compétentes » pourraient être avisées de l’absence de publication des données concernées.

Sans vouloir remettre en cause le principe même de transparence des liens d’intérêts entre entreprises des produits de santé et acteurs du domaine de la santé (que les entreprises ont d’ailleurs toujours soutenu), la démarche de FORMINDEP interpelle et appelle quelques précisions.

En premier lieu, il convient de préciser à nouveau que conformément à l’article R. 1453-4 du Code de la santé publique, seule l’autorité en charge du site internet public unique peut être récipiendaire des informations relatives à la transparence des liens et qu’en aucun cas il n’est possible pour un tiers d’exiger que lui soient communiquées lesdites informations. Ce principe réglementaire ne souffre aucune exception.

En second lieu, afin d’inscrire dans le marbre législatif l’apport de la décision du Conseil d’Etat, un amendement (Article 43 bis) a été inscrit par le Gouvernement au projet de loi de modernisation de notre système de santé visant à modifier l’article L. 1453-1 du Code la santé publique. Or, il se trouve que la rédaction du nouvel article L. 1453-1 du Code la santé publique devrait prévoir expressément, en cas d’adoption définitive du projet de loi, que les entreprises concernées doivent « (…) rendre publiques, sur un site internet public unique ».

Aussi, le III. de l’actuel article L. 1453-1 du Code de la santé publique serait modifié comme suit :

« III. Un décret en Conseil d’Etat, pris après avis de la Commission nationale de l’informatique et des libertés fixe les conditions d’application du présent article, la nature des informations qui doivent être rendues publiques sur le site internet public unique (…) »

Il ressort donc distinctement de ces dispositions que seule, comme c’est déjà le cas actuellement, l’autorité du site internet public unique pourra être destinataire des informations relatives à la transparence des liens.

En outre, rappelons que le Conseil d’Etat dans sa décision du 24 février 2015 a constaté que les deux derniers alinéas du a) du 2 du C de la 1ère partie de la Circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé (« Ne sont pas considérés comme des avantages les rémunérations, les salaires et les honoraires qui sont la contrepartie d’un travail ou d’une prestation de service, perçus par les personnes mentionnées à l’article L. 1453-1 du code de la santé publique. / Toutefois, une rémunération manifestement disproportionnée par rapport au travail ou à la prestation de service rendue est susceptible d’être requalifiée en avantage ou en cadeau prohibé par les dispositions de l’article L. 4113-6 du code de la santé publique »), méconnaissent les dispositions impératives générales d’ordre public de l’article L. 1453-1 du Code de la santé publique.

Ce faisant, le Conseil d’Etat a réintégré dans le champ de la publication au titre des avantages toutes les rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du Code de la santé publique par une entreprise débitrice de l’obligation de publication sur le fondement du même article.

Il apparait important de préciser ici qu’en contentieux administratif de l’annulation d’un acte réglementaire, le Conseil d’Etat reconnaît expressément une autorité absolue de la chose jugée (CE, 4 oct. 1972, Société immobilière de construction des 5 et 5 bis, rue des Chalets à Bourges et Ministre de l’équipement et du logement c/ GUILLAUMIN et autres). Les décisions relatives à l’annulation d’un acte réglementaire sont donc opposables aux tiers et non aux seules parties de l’instance. Elles ont un effet erga omnes.

Il en résulte donc que la décision du Conseil d’Etat du 24 février 2015 est opposable à toutes les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme et non pas seulement aux parties à l’instance : FORMINDEP et le CNOM.

Dès lors, lesdites entreprises sont tenues de publier au titre des avantages les informations relatives aux rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du Code de la santé publique conformément aux dispositions de l’article R. 1453-3 du Code de la santé publique (« II.- Pour les avantages mentionnés au II de l’article R. 1453-2, chaque entreprise rend publiques les informations suivantes : 1° L’identité de la personne bénéficiaire et de l’entreprise selon les modalités prévues au 1° du I du présent article ; 2° Le montant, toutes taxes comprises, arrondi à l’euro le plus proche, la date et la nature de chaque avantage perçu par le bénéficiaire au cours d’un semestre civil ; 3° Le semestre civil au cours duquel les avantages ont été consentis »).

Par ailleurs, l’annulation ayant un effet rétroactif, il convient de considérer que les deux derniers alinéas du a) du 2 du C de la 1ère partie de la Circulaire N° DGS/PP2/2013/224 du 29 mai 2013 relative à l’application de l’article 2 de la Loi n°2011-2012 du 29 décembre 2011 relative au renforcement de la sécurité sanitaire du médicament et des produits de santé n’ont jamais existé.

En conséquence, les entreprises produisant ou commercialisant des produits à finalité sanitaire et cosmétique destinés à l’homme sont tenues, depuis la décision du Conseil d’Etat du 24 février 2015, de publier, au titre des avantages, rétroactivement au 1er janvier 2012 l’ensemble des informations relatives aux rémunérations, salaires et honoraires versés à toute personne visée à l’article L.1453-1 du Code de la santé publique.

La requête de FORMINDEP, adressée à de nombreux acteurs du secteur, fait donc sens.

Pour autant, il convient de noter que ces modalités de publication ne sont pas des plus favorables car non adaptées à l’évolution induite par la décision du Conseil d’Etat.

En effet, en l’état actuel, le site Internet public unique ne permet pas de rattacher les informations relatives aux rémunérations, salaires et honoraires versés publiées au titre des avantages au contrat dont ils émaneraient et publié, quant à lui, au titre des conventions conformément à l’article R. 1453-3 du Code de la santé publique (disposition réglementaire qui aurait également dû être annulée par le Conseil d’Etat car contraire à l’esprit de la loi puisque n’intégrant pas comme information devant être rendue public le montant des rémunérations, salaires et honoraires versés dans le cadre des conventions !).

Cette impossibilité conduit immanquablement à ne pas participer à une transparence efficace des relations entre les entreprises débitrices de l’obligation de publication et les acteurs du domaine de la santé.

L’esprit du texte implique nécessairement de disposer d’un site Internet permettant de relier une rémunération à la réalisation de prestations de services et donc à un contrat. Ce même esprit doit permettre de renseigner le montant des rémunérations versées jusqu’à l’exécution complète du contrat liant les parties. Ceci implique d’envisager une déclaration semestrielle voire annuelle des sommes ainsi versées dans le cadre de l’exécution d’un contrat.

Les modalités de cette transparence ne peuvent donc que s’inscrire dans un cadre juridique pertinent, ce qui n’est manifestement plus le cas depuis la décision du Conseil d’Etat du 24 février 2015 !

Ceci devrait être corrigé par le projet de loi de modernisation de notre système de santé (article 43 bis), puis complété ultérieurement par des dispositions réglementaires permettant la mise en œuvre efficiente de cette nouveauté législative.

En effet, selon notre interprétation, lorsqu’il est nécessaire de modifier une loi pour préciser que l’obligation de transparence s’applique également aux sommes versées à des personnes physiques ou morales dans le cadre des conventions mentionnées à l’article L. 1453-1 du Code de la santé publique, il s’agit bien d’une nouveauté législative. Si le texte était suffisamment clair et qu’il exprimait parfaitement l’esprit du législateur dès l’origine, pourquoi alors procéder à sa modification pour préciser cette nouvelle obligation ?

Encore un mystère qu’il conviendra d’élucider, mais pour l’heure rappelons simplement qu’un texte législatif nécessitant des mesures d’application (« au delà d’un seuil fixé par décret ») ne trouve à s’appliquer qu’à compter du moment où ses mesures d’application sont publiées !

Il convient également de rappeler que rattacher les informations relatives aux rémunérations, salaires et honoraires versés au contrat dont ils émaneraient pourrait être considéré comme portant atteinte à la vie privée des personnes concernées. Un positionnement de la CNIL à cet égard parait donc indispensable. Peut-être cette dernière considèrera-t-elle que ce rattachement, et donc cette publication exhaustive, peuvent être justifiés au regard de l’objectif de prévention des conflits d’intérêts susceptibles d’intervenir dans le domaine sanitaire (cf. en ce sens Délibération CNIL n° 2013-067 du 21 mars 2013).

Si FORMINDEP trépigne d’impatience de tout connaître de la vie privée de certains professionnels de santé, qu’elle s’empresse alors d’enjoindre à la Ministre de la santé de prendre le décret fixant, notamment, le seuil prévu à l’article L. 1453-1 du Code de la santé publique… dans sa version issue de l’adoption à venir du projet de loi de modernisation de notre système de santé !

Il va donc falloir faire preuve d’un peu de patience…

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