Investigations cliniques portant sur les dispositifs médicaux : encore une réglementation franco-française !

Investigations cliniques portant sur les dispositifs médicaux : l’ordonnance n° 2022-582 du 20 avril 2022, au lieu de procéder à des renvois vers certaines dispositions générales de la législation relative aux recherches impliquant la personne humaine, commune à l’ensemble des recherches cliniques, et de les adapter, réécrit des articles identiques mais spécifiques aux investigations cliniques.

L’article 2 de l’ordonnance n°2022-582 du 20 avril 2022 vient modifier le dernier alinéa de l’article L. 1121-1 du code de la santé publique en précisant que le titre II dudit code consacré aux recherches impliquant la personne humaine ne s’applique pas aux dispositifs médicaux mentionnés à l’article premier du Règlement (UE) 2017/745 qui sont régis par ce règlement.

En d’autres termes, ces dispositions viennent clairement indiquer que les investigations cliniques de dispositifs médicaux sont régies par le règlement (UE) 2017/745 et qu’il convient donc de s’y reporter pour identifier le régime juridique applicable à ces investigations.

Jusque là tout paraît logique et la hiérarchie des normes est parfaitement respectée puisque l’ordonnance précise que la législation française ne s’applique pas pour des investigations cliniques d’ores et déjà encadrées par une réglementation européenne d’effet direct.

Mais malheureusement en France, on ne peut s’empêcher de faire du franco-français faisant fi des efforts d’harmonisation initiés par les autorités européennes et au détriment bien évidemment de notre attractivité !

En effet, l’article 2 de l’ordonnance n°2022-582, tout en précisant que le titre II ne s’applique pas aux investigations cliniques, précise malgré tout que ce principe souffre d’une exception et qu’il convient d’appliquer aux investigations cliniques les dispositions du chapitre V de la législation relative aux recherches impliquant la personne humaine.

Les dispositions du chapitre V qui s’intitule « Dispositions particulières applicables aux investigations cliniques de dispositifs mentionnés à l’article premier du règlement (UE) 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 (Articles L1125-1 à L1125-32) » ont précisément été fixées par l’ordonnance n°2022-582.

Or, ce chapitre ne compte pas moins de 32 articles, environ 5 459 mots… venant fixer des règles s’ajoutant ou paraphrasant celles prévues aux articles 62 et suivants du Règlement (UE) 2017/745.

 

La 1ère question que l’on doit se poser est : pourquoi tant d’articles sur les investigations cliniques ?

Là où le chapitre consacré aux essais cliniques de médicaments compte un seul article (L. 1124-1), le chapitre consacré aux investigations cliniques en compte 32 !

La réponse est simple. L’ordonnance, au lieu de procéder à des renvois vers certaines dispositions générales de la législation relative aux recherches impliquant la personne humaine, commune à l’ensemble des recherches cliniques et de les adapter, comme c’est le cas pour les essais cliniques de médicaments, réécrit des articles identiques mais spécifiques aux investigations cliniques.

Au final, nous nous retrouvons donc avec des principes généraux communs aux RIPH et aux essais cliniques de médicament et les mêmes principes généraux déclinés pour les investigations cliniques au niveau du chapitre V.
Afin d’illustrer nos propos, nous pouvons évoquer le nouvel article L. 1125-9 qui pose le principe de la responsabilité civile d’un promoteur d’une investigation clinique en ces termes :

« Le promoteur assume l’indemnisation des conséquences dommageables de l’investigation clinique pour la personne qui s’y prête et celle de ses ayants droit, sauf preuve à sa charge que le dommage n’est pas imputable à sa faute ou à celle de tout intervenant sans que puisse être opposé le fait d’un tiers ou le retrait volontaire de la personne qui avait initialement consenti à se prêter à l’investigation clinique.
Lorsque la responsabilité du promoteur n’est pas engagée, les victimes peuvent être indemnisées dans les conditions prévues à l’article L. 1142-3. (…) »

Ce n’est ni plus ni moins la reprise des dispositions de l’article L. 1121-10 du CSP.

« Article L. 1121-10
Le promoteur assume l’indemnisation des conséquences dommageables de la recherche impliquant la personne humaine pour la personne qui s’y prête et celle de ses ayants droit, sauf preuve à sa charge que le dommage n’est pas imputable à sa faute ou à celle de tout intervenant sans que puisse être opposé le fait d’un tiers ou le retrait volontaire de la personne qui avait initialement consenti à se prêter à la recherche.
Lorsque la responsabilité du promoteur n’est pas engagée, les victimes peuvent être indemnisées dans les conditions prévues à l’article L. 1142-3. (…) »

Afin de limiter l’inflation législative, n’aurait-il pas été plus simple d’ajouter à l’article L. 1121-10 après les termes «Le promoteur assume l’indemnisation des conséquences dommageables de la recherche impliquant la personne humaine », « de l’essai clinique de médicament et de l’investigation clinique de dispositif …» et donc de ne créé qu’un seul article au sein du nouveau chapitre V indiquant que certaines dispositions dont celles de l’article L. 1121-10 du CSP s’appliquent aux investigations clinique ?

Cette redondance de textes se retrouve pour l’affiliation des participants à un régime de sécurité social (art. L. 1125-8 et L. 1121-8), l’indemnisation des participants (Art. L. 1125-10 et L. 1121-11), l’examen médical préalable (Art. L. 1125-10 et L. 1121-11), la non-participation simultanée ( Art. L. 1125-11 et L. 1121-12), etc., etc., etc.

Outre, les principes généraux encadrant les recherches cliniques, nous pouvons également souligner la création de dispositions spécifiques sur le rôle des CPP, la création de nouveaux articles définissant de nouvelles sanctions pénales applicables aux investigations cliniques, etc., etc. etc.

Au final, l’ordonnance duplique l’essentiel des dispositions encadrant les recherches impliquant la personne humaine pour les adapter aux investigations cliniques portant sur un dispositif médical conduisant à une profusion législative inutile car redondante et loin de viser une simplification du droit.

 

La deuxième question que l’on peut se poser est la suivante : ces nouvelles dispositions sont-elles conformes au Règlement (UE) 2017/745 ?

A trop vouloir en faire, ne s’expose-t-on pas au risque d’en faire trop ?

Le risque évident lorsque l’on multiplie les articles pour permettre l’application d’une réglementation européenne est d’adopter des dispositions illégales car contraires au Règlement ou outrepassant les prérogatives offertes aux Etats membres par ledit Règlement.

D’éventuels futurs litiges nous éclaireront sur la conformité de ces nouvelles dispositions mais d’ores et déjà nous pouvons nous interroger sur la portée de formules reproduites dans de nombreux articles : « l’investigation clinique comportant une intervention sur la personne non justifiée par sa prise en charge habituelle et lui faisant encourir des risques et des contraintes non minimes » ou bien encore « toute investigation clinique à l’exception de celle qui ne comporte aucun risque ni contrainte et dans laquelle tous les actes sont réalisés et les produits utilisés de manière habituelle ».

L’ordonnance créé ainsi des sous-catégories d’investigations cliniques et leur assigne des régimes juridiques spécifiques.

Est-ce que les Etats membres sont autorisés à créer de telles sous-catégories d’investigations cliniques ?
L’analyse de la définition des « investigations cliniques » et du régime juridique les encadrant tels que fixés par le Règlement ne nous permet pas de répondre à cette question de manière affirmative.

En outre qu’est-ce qu’une investigation clinique qui ne comporte aucun risque ni contrainte et dans laquelle tous les actes sont réalisés et les produits utilisés de manière habituelle ? Ne serait-ce pas une investigation SCAC au sens de l’article 74 du Règlement (« Investigations SCAC, choisir le bon cadre juridique ! ») ou bien plus simplement tout sauf une investigation clinique ? Dans une telle investigation, est-il prévu une procédure additionnelle alors que tous les actes sont réalisés et les produits utilisés de manière habituelle ?

En effet, s’il n’y a aucun risque ni contrainte, aucune procédure additionnelle et que les produits sont utilisés de manière habituelle est-ce même simplement une investigation clinique ? Ne s’agit-il pas plutôt d’un suivi clinique ? Comme nous l’avons évoqué dans un précédent article, nous pouvons regretter le manque de précisions de la définition des « investigations cliniques » proposée par le Règlement.

Or, en utilisant le terme « investigation clinique », cela conduit à appliquer à de tels protocoles les dispositions du Règlement et du chapitre V du titre consacré aux investigations cliniques à des études qui n’en sont pas.

La conséquence est simple et rappelée par le nouvel article L. 1125-22 du CSP :
« Le fait de pratiquer ou de faire pratiquer une investigation clinique en méconnaissance des articles 64 à 66 du règlement (UE) n° 2017/745 du Parlement européen et du Conseil du 5 avril 2017 et de l’article L. 1125-7 du code de la santé publique est puni de trois ans d’emprisonnement et de 45 000 euros d’amende. »

En résumé, la France, par cette ordonnance, vient créer une catégorie d’étude équivalente aux études non interventionnelles et lui applique un régime juridique inadapté à savoir celui des investigations cliniques.
Une telle situation est d’autant plus aberrante que le Règlement a décidé de ne pas créer de régime juridique spécifique pour les études qui n’impliquent pas de procédures additionnelles.
Un fois encore nous pouvons regretter que la France fasse du franco-français au détriment des intérêts des fabricants de dispositifs médicaux mais également de ceux du secteur de la recherche clinique qui risquent de voir certaines études conduites depuis d’autres Etats membres.

Thomas ROCHE, avocat associé

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